Le 28 Août 1991, au soir de la clôture des travaux de la Conférence Nationale Souveraine, les démocrates togolais se prennent à rêver de lendemains qui chantent et de dignité retrouvée après 24 ans d'un régime Eyadema honni par son peuple. 1/
L'ambiance est à l'optimisme lorsque Joseph Kokou Koffigoh, élu tard la nuit précédente forme son gouvernement de quadragénaires. Seul Kwassi Kpetigo, 52 ans, déroge au vent de rajeunissement qui souffle sur la vie politique. 2/
Au HCR, organe législatif transitoire également, pour la première fois l'opposition a les coudées franches. Tous les poids lourds de la politique togolaise y sont représentés: 3/
Me Agboyibor, Edem Kodjo et même curieusement Yao Komlanvi, ministre de l'intérieur sortant d'Eyadema, l'homme des récépissés à qui les opposants reconnaissent quand même son courage et sa franchise. 4/
Dès son installation en septembre 1991, c'est le HCR dont le rôle et le fonctionnement vont susciter les critiques les plus acerbes, parfois justifiées aussi. Le premier ministre, quant à lui entame son éphémère mandat pieds au plancher. 5/
Au menu, visites internationales au Ghana (dont la frontière est fermée depuis l'attaque terroriste de 1986), au Burkina, Sénégal, Bénin, relance de la coopération avec Israël, l'Allemagne, le Canada et les USA. 6/
Le 14 Octobre, symbolique forte du vent nouveau, la Nouvelle Marche, retrouve son ancien nom à savoir Togo Presse. 7/
Des inconnues planent pourtant sur ce tableau plutôt satisfaisant. Des mois de crise ont vidé les caisses de l'Etat, mais surtout tout le monde a le regard tourné vers le grand timonier, l'ancien guide éclairé Eyadema. Comment va-t-il composer avec la nouvelle donne ? 8/
S'il garde le silence jusque-là, son jouet, les FAT mettra 4 semaines à apporter un premier éclairage sur ses intentions réelles. 9/
Le 01 Octobre 1991, premier coup de force sur la transition ! Un petit commando de militaires prend d'assaut la radio-télévision nationale pour réclamer l'annulation des actes non promulgués de la CNS et la dissolution du HCR ! 10/
Il évacuera finalement les lieux sur ordre d'Eyadema lui-même après avoir fait 4 morts et une cinquantaine de blessés parmi les Ekpémogs venus promptement leur reprendre les lieux. 11/
Le 08 Octobre verra une action autrement plus audacieuse des FAT. Le PM, ministre de la défense, échappe de peu à une tentative de rapt par des éléments qu'on dit incontrôlés qui fouillent ttes les pièces de l'Hôtel 2 Février, son logement provisoire, sans le trouver. 12/
En réponse les Ekpémogs débarquent chez des dignitaires du régime RPT et saccagent leurs domiciles. Le sang a coulé à nouveau: 3 morts et 15 blessés. 13/
A chaque fois, le président joue le jeu de la condamnation, rappelle les troupes à l'ordre sans jamais décider de sanctions. Aucun doute ne subsiste sur l'identité de la personne à qui obéissent les FAT. 14/
Dans ce contexte d'extrême tension, le climat politique se fait de plus en plus pesant. Les doutes se font jour. Entre les déçus du fait que la CNS ne soit pas allée jusqu'à destituer Eyadema purement et simplement, 15/
et les méfiants quant au jeu des politiciens, le poison de la division s'est immiscé parmi les opposants d'hier désormais au pouvoir. Koffigoh est très tôt accusé de ne plus écouter ses compagnons de lutte et de céder aux sirènes du culte de la personnalité. 16/
Lui sont reprochées des marches de soutien et l'édition de gadgets à son effigie. Jalousie des battus de la salle Fazao, vraie dérive ? 17/
Les alliés d'hier n'hésitent pas à mettre en place des regroupements ayant pour but de contrôler la mise en œuvre de la feuille de route de la CNS. 18/
Aidam et Amorin ont tôt fait de créer le Comité de Vigilance pour la Démocratie (CVD) au motif de mettre en place des "garde-fous". 19/
" Nous sommes là pour faire le chemin de Dieu... Il faut qu'on surveille tous les jours... Nous allons nous occuper des acteurs de la cité... Une œuvre pédagogique en quelque sorte" déclare Amorin. 20/
A peine porté sur les fonds baptismaux que le CVD est suivi par un CCRD (Comité de Consolidation pour Défense du Renouveau Démocratique) créé par Nicolas Lawson : 21/
«Le CCRD se veut comme une sentinelle de la cité et non comme un censeur du HCR... Il faut à tout prix veiller à ce que la CNS a défini soit appliqué...» 22/
Le premier ministre et le HCR sont donc sous les feux croisés des observateurs de tous poils de la vie politique. Il leur est reproché à tout-va le retard de la mise en place de la commission constitutionnelle (intervenue le 14 octobre) , 23/
le désordre à un HCR dont les membres seraient surpayés (indemnité mensuelle 300.000FCFA) pour des résultats jugés maigrichons, l'absence de mesures économiques fortes pour relancer la machine etc. 24/
En toile de fond c'est l'absence de communication des institutions de la transition qui est pointée du doigt. Dans un pays frappé durement par la crise, en proie au doute, on ne pouvait pas faire l'économie de la transparence sur leur activité. 25/
La conférence nationale mal préparée, mal gérée, brouillonne, siégeant sans les FAT et le PR laisse désormais un goût amer à bon nombre de Togolais. 26/
C'est dans ce contexte tendu que la question de la dissolution du RPT, le parti présidentiel est remis sur la table le 26 novembre 1991. Qu'il vous souvienne que la question n'avait pu être tranchée par la CNS qui s'y était empêtrée. 27/
Le parti est revenu dans l'actualité 3 semaines plus tôt par le biais d'une déclaration de Gachin Mivédor rédigée par Koffi Panou. C'est le début d'un bras de fer qui révèle toute la force de nuisance de l'ancien régime. 28/
Le 14 novembre, le RPT fort de son récépissé du 27 mai 1991, se considérant à juste titre comme légal et reconnu informe le ministre de l'administration territoriale de la tenue de son congrès les 23 et 24 novembre prochains. 29/
La lecture du gouvernement et du HCR est autre: le RPT n'a pas accompli les formalités pour se conformer à la nouvelle charte des partis politiques. Pourtant le RPT dispose bien de représentants au HCR. 30/
Si la question de la tenue de ce congrès dans ce contexte électrique est légitime, il faut reconnaître que la manœuvre a du sens. Les opposants d'hier se retrouvent devant un défi historique. Choisiront-ils la censure ou le jeu de la démocratie dont ils se réclament ? 31/
Le congrès finit par se tenir, couvert par la presse officielle malgré les instructions fermes du ministre de la communication allant dans le sens contraire. 32/
Koumaï Bang'na, rédacteur en chef de Togo Presse aurait même raccroché au nez du ministre qui lui réclamait des explications de sa désobéissance. Ambiance... 33/
A peine a t-on le temps de s'émouvoir que la situation se détériore gravement. En ce 27 novembre, le HCR confirme sa dangereuse décision de dissoudre le RPT. Ce même soir, Koffigoh rentre de Paris où il a assisté pendant 10 jours (!) au sommet de la francophonie. 34/
Lomé s'embrase aussitôt. Barricades, pneus enflammés, affrontements inter-ethniques dans les quartiers d'Adewui et de Bè. On déplore déjà 6 morts et une cinquantaine de blessés. 35/
Le lendemain matin à l'aurore, au moment des infos matinales, les Loméens sont choqués. Les FAT refont le coup du 1er octobre. Ils s'emparent de Radio Lomé, nouvelle tentative de putsch en cours. 36/
Ils y vont fort et se montrent à souhait insultants: fermeture des frontières, dissolution du "Haut des Cons de la République"(HCR), réinstallation de la Constitution des 109 (jamais promulguée au final), appel à Eyadema pour désigner "un homme fort et capable" etc. 37/
A en juger par le niveau de langage employé, les textes relus avec fautes de syntaxe, le ton belliqueux, celui vers qui se portent les regards est le Général Améyi. Le PR est-il de mèche avec lui ou Améyi aurait-il pris cette initiative sans l'en informer ? 38/
Les militaires durcissent le ton à la mi-journée prouvant qu'ils ont du mal à obtenir satisfaction ou qu'Eyadema hésite à sortir du bois. En tout cas il rentre de Pya où il se reposait vers 11h. 39/
Vendredi 29 novembre, le ton monte encore d'un cran, les FAT convoquent les "cinq Français" du HCR (dont Tavio Amorin et Claude Améganvi) & Mgr Kpodzro à leur QG installé à la direction des douanes et ordonnent à Koffigoh de quitter le Palais du Renouveau pour les y rejoindre.40/
"En cas de fuite ou de refuge où que ce soit, tous subiront le même sort". A part cela, ce sont les mêmes exigences que l'on entend dans les différents flashs diffusés. Rien n'a donc bougé depuis la veille. 41/
La situation a pourtant déjà coûté la vie à 20 personnes dont 8 ou 9 enfants abattus devant la boulangerie Coin Chaud (sur l'avenue Duisbourg non loin du carrefour entre le Bld Circulaire et ladite avenue. 42/
En fin d'après-midi la rumeur se répand dans Lomé, Eyadéma va reconduire Koffigoh dans ses fonctions (au mépris de l'acte n°7 de la CNS qui ne le lui permet pas même s'il le voulait). 43/
Les putschistes se mettent à réclamer d'ailleurs à la radio la nomination du même Koffigoh par décret présidentiel ou qu'Eyadéma vienne l'annoncer à la télévision nationale. La seconde exigence est que les membres du HCR soient exclus du prochain gouvernement. 44/
L'insistance des militaires pour une reconduction de Koffigoh alors qu'ils crachent leur bile sur la transition en cours donne encore plus de poids aux spéculations faisant état d'un pacte secret entre Koffigoh et Eyadéma. 45/
Le samedi 30 novembre viendra clore ce premier épisode alors qu'Eyadema dans un communiqué renouvelle sa confiance à Koffigoh et le charge de former un gouvernement d'union nationale et réitère sa "demande" aux troupes de regagner les casernes. 46/
Notez qu'il n'ordonne pas comme son statut de chef suprême des armées l'autorise pourtant. Les putschistes s'empressent de le remercier mais font savoir que leur exigence de dissoudre le HCR n'est toujours pas satisfaite. 47/
En tout état de cause, ils quittent la radio après l'annonce d'un couvre-feu à partir de 18h. Le premier ministre, ainsi que le HCR l'avait fait lors des événements d'octobre, évoque les accords de coopération militaire de 1963 et demande à la France d'intervenir. 48/
Accalmie donc pendant le weekend, le couvre-feu est raccourci le dimanche 1er décembre 1991. On s'attend donc à un retour à la normale le lundi. Pourtant ce matin-là rien n'est comme d'habitude. Les hôtels se vident, des militaires gardent le CASEF. 49/
Finalement, ils occupent à nouveau la radio. Nous voilà revenus au même point que vendredi. Aucune de leurs exigences n'a été satisfaite disent-ils, ils se bornent pourtant à éructer leurs sempiternelles menaces au lieu de les augmenter pour mettre la pression. 50/
Quelque chose ne tourne définitivement pas rond dans cette affaire. La situation est préoccupante au point que Bruno Delaye, ambassadeur de France au Togo demande la mobilisation de 35 des 300 militaires français stationnés au Bénin voisin. Il en obtiendra finalement 10. 51/
Le dialogue est rompu entre les deux têtes de l'exécutif. Le président se mure dans un silence suspect tandis que Koffigoh semblant ne pas avoir pris la mesure des menaces qui pèse sur lui oscille entre fierté mal placée et dédain. 52/
Mardi 3 décembre 1991, le putsch larvé en est à son 7ème jour. Le ciel est gris et lourd à l'image de l'incertitude qui s'épaissit. Le Loméens sont tirés de leur sommeil par le vacarme d'une fusillade qui éclate à 6h22. 53/
On comprend vite que c'est le Palais du Renouveau, siège de la Primature qui est le centre des tirs. Il s'agit d'un assaut des putschistes pour s'emparer du premier ministre. On entend plusieurs fusillades avec des tirs à l'arme lourde. 54/
Aucune info à la radio qui diffuse les mêmes communiqués que la veille. Ce n'est qu'à 9h10 que le brouillard commence à se dissiper. Les militaires confessent: "Nous avons décidé de prendre le PM... Il est aux mains des FAT en toute sécurité". 55/
10h41, Eyadéma sort enfin du silence pour condamner les actes de violence de la matinée. En soirée, la télévision locale annonce des allocutions du premier ministre et du président de la république. 56/
Koffigoh, visage ravagé, visiblement secoué, déclarera en substance lors de son intervention : "Chers frères et chères sœurs,… afin d'arrêter le bain de sang, j'ai décidé de me rendre...Je suis conduit à la résidence du chef de l'Etat à Lomé II où il m'a rejoint plus tard. 57/
Je vois se profiler à l’horizon des souffrances immenses pour notre peuple si nous entrons définitivement dans la logique de la guerre (...) A l’heure actuelle, tous les organes de la transition sont paralysés, les institutions ne fonctionnent plus. 58/
Les membres du HCR sont introuvables. La légalité républicaine est mise en veilleuse. En conséquence, en vertu de l’article 68 de la loi constitutionnelle [l’Acten°7], 59/
je décide la constitution d’un gouvernement provisoire... Sang-froid, calme, condoléances... Vive le Renouveau démocratique. Vive le Togo». 60/
Eyadéma appellera au calme dans une allocution encore plus courte: "... crise très grave... des morts... condoléances (...) Le PM met en place un gouvernement provisoire d’union nationale… 61/