Vendredi 10 octobre, journée cruciale à Albi : Cédric Jubillar va être longuement interrogé dans un interrogatoire récapitulatif. Il n’a été questionné jusqu’ici que sur des temps courts et sur des sujets précis. LT à suivre pour @franceinfo👇🏻
Avant d'entendre Cédric Jubillar, c'est d'abord le psychologue ayant expertisé l'accusé qui doit passer à la barre. Les salles d'audience et de retransmission sont pleines à craquer, de public, et de journalistes.
L'audience est ouverte. On entend Philippe Genuit, expert psychologue auprès de la cour d'appel de Toulouse. Il a rencontré Cédric Jubillar au cours de cinq séances, en 2022.
Les entretiens ont duré "à peu près une heure". "Ils ont tous eu lieu en quartier d'isolement de la maison d'arrêt du centre pénitentiaire de Seysses", ajoute-t-il, précisant, qu'habituellement, ils se déroulent "au parloir avocat".
L'expert se lance dans une longue introduction sur la notion de dévoilement. "C'est déjà très difficile pour une victime de se dévoiler, on le voit avec les enfants incestés, on le voit dans les pratiques de violences conjugales", explique-t-il.
"Une personne peut être auteur à un moment, victime à une autre. Voire, victime avant et ensuite auteur", ajoute Philippe Genuit.
On en vient au sujet principal : Cédric Jubillar. Celui-ci "s'est présenté de façon courtoise à tous les entretiens, n'a pas varié de position, ou de manière d'opérer", expose-t-il.
"Il n'a pas montré de mouvements d'humeur, mais nous avons ressenti une rigidité de posture lorsqu'il prêtait l'intention à l'expert de penser qu'il pouvait être négligent, tout particulièrement, dans l'état et le rangement de la maison", pointe l'expert psychologue.
"Il a toujours eu avec moi des propos maîtrisés, c'est-à-dire qu'il 'bétonne' : il ne laisse pas de prise à la surprise. Il ne semble ni déstabilisé, ni déstabilisable", souligne-t-il.
"Cédric Jubillar a montré une intelligence logique effective : il est attentif aux questions et répond spontanément, sans que cela n'affecte sa réflexion", poursuit Philippe Genuit.
"Il peut reconnaître qu'il dit des choses désagréables, il dit qu'il s'en fou, et qu'il pouvait être considéré comme quelqu'un d'insupportable. Concernant les faits reprochés, il a montré beaucoup de distance", détaille l'expert.
"Il est capable d'empathie et de ressentir ce que l'autre ressent. Mais la difficulté pour lui est de mesurer sa propre souffrance et la souffrance de l'autre", analyse-t-il.
Cédric Jubillar "dit en même temps ne pas être responsable de la disparition de Delphine Aussaguel, et montre, dans l'entretien, peu d'affects envers elle", souligne l'expert psychologue.
Il relève dans son discours une forme de "démesure dans l'expression".
L'expert livre un exposé très sinueux, parsemé de références à l'étymologie grecque. On s'éloigne de l'accusé... Dans le public, beaucoup se sont levés très tôt pour être là. Certains écoutent avec attention. D'autres s'impatientent, et semblent circonspects.
Philippe Genuit précise avoir proposé à l'accusé de travailler "sur le dévoilement et non pas l'aveu, qui est le fait de la justice". "Le dévoilement concernant sa parentalité, et sa mère, par rapport à la filialité", précise-t-il.
Exemple de phrase : "la vérité juridique se base sur la preuve commune, discutée, sur l'objectivité et le consensus. Nous avons essayé d'être dans une position de scientificité et l'épistémologie consiste à agir sur le langage pour rendre les mots adéquats à l'univers décrit".
"Pour conclure, je citerais Aristote : l'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit", achève l'expert.
On n'a pas la sensation d'avoir appris grand-chose de Cédric Jubillar à l'issue de cet exposé de près d'une heure.
La présidente lui demande s'il est habituel de rencontrer cinq fois un accusé pour une expertise. "Je vous remercie d'employer le mot 'habituel' et pas 'normal'", répond l'expert, reconnaissant avoir vu Cédric Jubillar davantage que ce qu'il fait habituellement.
La présidente relève également que son compte-rendu d'une quarantaine de pages est également inhabituel. "Oui", répond l'expert, admettant que l'on rend, en temps normal, "10 ou 15 pages".
La présidente relève qu'il n'a pas parlé de son addiction au cannabis, alors que Cédric Jubillar pouvait fumer entre dix et quinze joints par jour. "Moi, je ne pourrais pas", glisse l'expert en riant, avant de répondre.
"Il désire avoir une haute opinion de lui-même, mais je ne suis pas sûr qu'il ait une haute opinion de lui-même", analyse l'expert, interrogé par l'avocat général.
"Lorsqu'il évoque le mot 'criminel', il ne dit pas 'j'ai commis un crime', il dit : 'je suis criminel dans la nomenclature de la prison'", ajoute-t-il.
L'avocat général revient sur les difficultés traversées par Cédric Jubillar enfant, sur le fait "qu'il a pu souffrir d'abandon". L'expert le coupe, et apporte une nuance : "c'est un ressenti d'abandon".
Et poursuit : "j'ai lu 'Ouest-France' tous les jours qui, je pense, rapporte assez fidèlement ce qui est dit ici, et sa maman ne parle pas, elle, d'abandon. Elle a été en difficulté et l'enfant a été placé, mais il n'a pas été abandonné".
"Mais ça n'empêche que l'enfant peut avoir un ressenti d'abandon", ajoute-t-il.
Des membres du public quittent la salle de retransmission : ils sont une vingtaine à être sortis.
L'avocat de parties civiles Mourad Battikh l'interroge : "le jour où Cédric Jubillar sait qu'elle (son épouse) ne reviendra pas, parce qu'elle compte partir ailleurs et refaire sa vie, quelle peut être sa réaction au regard de ses déclarations ?"
"Dans la mesure où ses parents sont séparés et sont revenus, il y a une possibilité que la séparation puisse s'effacer devant un retour", répond l'expert.
"Et le jour où il est confronté à l'impossibilité de ce retour, qu'est-ce que ça peut susciter comme réaction ?", lui demande l'avocat.
"Ce n'est pas le fait de savoir qu'elle ne reviendra pas, c'est plutôt les circonstances, et l'ambiance, s'il reste de l'affection ou s'il y a un sentiment de rejet. L'ambiance compte autant que l'acte de séparation", analyse l'expert psychologue.
"Il y a des séparations qui se passent très mal, d'autres bien. Ce qui permet qu'il y ait quand même du lien, ce sont les enfants. Mais l'après-séparation apparaît comme quelque chose qui coupe, mais pas comme quelque chose qui peut être accompagné", ajoute-t-il.
"Vous parlez des personnes marquantes de l'enfance de Cédric. A la question : 'et votre mère ?' Il répond : 'ça allait, mais elle n'est pas une personne marquante'", relève Géraldine Vallat, l'avocate de Nadine Fabre, la mère de l'accusé.
Elle poursuit : "le 16 décembre (2020) au matin, il a le besoin impérieux de contacter sa mère. Comment peut-on expliquer ce comportement ? Est-ce qu'on peut parler d'un rapport utilitaire à sa mère ?".
"Je ne pense pas que ce fut un rapport utilitaire, au sens où tout serait focalisé sur l'utilitaire. Il y a une dimension de se dire : 'il me faut quelqu'un à qui je puisse parler'. Il y a peut-être un moment d'utilité mais qui ne se focalise pas sur l'utilitaire", analyse-t-il.
L'expert parle depuis 9h : il est toujours interrogé par les avocats de parties civiles, il reste encore la défense. L'interrogatoire de Cédric Jubillar pourrait ne commencer que cet après-midi.
Laurent Boguet, avocats des enfants Jubillar, lui demande quel effet peut avoir une surconsommation de cannabis "sur la perception des stimulis extérieurs".
"Je ne suis pas toxicologue, mais ayant œuvré dans le domaine psycho-criminologique depuis quarante ans, la quasi-totalité des personnes qui se retrouvaient en prison et ayant commis des crimes - sexuels ou meurtres - étaient sous psychotropes", relève l'expert.
"Le cannabis est un psychotrope", rappelle-t-il.
L'expert se lance dans l'étymologie du terme "intime conviction". Une rumeur d'agacement s'élève sur les bancs du public en salle de retransmission "Ok, ouais", essaye de couper Laurent Boguet.
Laurent Boguet rappelle que Cédric Jubillar a insulté des surveillants en détention, déclarant : "ils se font violer par leurs femmes, je les emmerde ces petites fiottes". L'avocat lui demande d'interpréter cette déclaration.
Philippe Genuit estime qu'il s'agit d'un "mécanisme de projection, pour expliquer la problématique à laquelle on est confronté". "Les enfants en primaire disent : 'c'est celui qui dit qui y est'", ajoute-t-il.
L'audience est suspendue pour laisser l'expert se reposer. Reprise à 11h40, sans doute avec les questions de la défense.
L'audience reprend avec les questions de Laurent De Caunes, toujours côté parties civiles. "Vous avez dit que monsieur Jubillar est intolérant à l'idée d'être rabaissé. Mais est-ce qu'il peut lui arriver de rabaisser les autres ?", interroge-t-il.
"Il est capable de dire qu'il n'en a rien à faire de ce que disent les autres. C'est pour ça que j'ai parlé de parésie. Et en même temps, il peut aller dans la démesure…", observe l'expert psychologue.
"Ce n'était plus ma femme" a déclaré Cédric Jubillar à l'expert. Un propos qui fait tiquer l'avocat Laurent de Caunes. Philippe Genuit analyse : "sa maison, c'est SA maison. Sa femme, c'est SA femme".
L'expert affirme ne pas avoir entendu "de discours de victime chez lui". "Mais il peut se plaindre, il peut projeter ses propres démons chez les autres", précise-t-il.
"Il peut s'effondrer lorsqu'il est rabaissé, mis plus bas que terre ou, en tout cas, lorsqu'il le ressent comme tel", poursuit l'expert psychologue.
"Et il peut, dans le discours, et peut-être dans les actes, avoir ce que Claude Balier, psychanalyste et psychiatre, auteur de 'Psychanalyse des comportements violents', a nommé : 'le recours à l'acte contre l'angoisse d'anéantissement'", détaille-t-il.
Philippe Genuit convoque l'expression : "quand on a rien, on est rien". "Et si on a rien… Ca peut amener au passage à l'acte", affirme-t-il.
Laurent Nakache-Haarfi, côté parties civiles toujours, lui demande si l'accusé lui a semblé manipulateur. "Je n'ai pas senti de la part de monsieur Jubillar la volonté de me manipuler pour se dépeindre plus beau qu'il ne l'est", déclare l'expert.
"Mais je ne peux pas vous dire qu'il ne m'a pas donné des éléments pour que ça aille dans son sens. Oui, il a pu me manipuler, mais je n'ai pas senti de manipulation de sa part", ajoute-t-il. Pas de réponse tranchée sur ce point donc.
C'est maintenant au tour de la défense de poser ses questions. Il est plus de midi quand Emmanuelle Franck prend le micro.
"De l'autre côté, chacun a tenté de trouver, dans votre expertise, des réponses sur les raisons d'un passage à l'acte, dont on ne sait pas s'il est réfléchi ou impulsif", relève-t-elle.
"Est-ce que son 'je m'en foutisme' suite à la disparition de Delphine peut correspondre à sa personnalité, et ne pas être forcément signe d'autre chose ?", demande l'avocate.
"Il y a ce je m'en foutisme qu'il me transmet, en tout cas, cette position de provocation, et lui-même dit : 'je suis provocateur'. Et il y a ce que des personnes peuvent témoigner de ce qu'elles ressentent", répond l'expert psychologue.
"Je ne peux pas me mettre à la place des personnes en disant : 'elles se trompent' ou 'elles ont raison'", ajoute-t-il.
"L'enquête de personnalité a quand même démontré que Cédric Jubillar avait un parcours cabossé, avec une maman abandonnique, y compris à cette audience, et un parcours jalonné par des placements en famille d'accueil et un retrait des familles d'accueil", relate l'avocate.
Et poursuit : "pour autant, l'enquêtrice de personnalité a utilisé le terme de résilience. C'est un gamin qui a toujours été souriant et a développé une capacité d'adaptation au sort qui était le sien".
"Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer qu'en dépit de la souffrance qu'occasionne le divorce avec Delphine Jubillar, une fois encore, il y ait pu avoir une acceptation et une adaptation progressive à cette situation ?", interroge Emmanuelle Franck.