Le 16 juillet 1991, les Togolais apprennent que s'affranchissant unilatéralement des accords du 12 juin, la Conférence Nationale se proclame souveraine. Débute alors 1 nouveau bras de fer qui n'empêchera pas les travaux de se poursuivre dans la salle Fazao
Nous avons laissé la CNS fin juillet 1991, en proie à la démobilisation et aux prises avec plusieurs questions: quel pouvoir pour la CNS ? Que faire d'Eyadema ? Quel est le profil idéal pour le premier ministre ? Sur quel texte va se baser la transition qui s'annonce ? 2/
Ces interrogations sont dans les esprits mais l'urgence de l'heure c'est la rentrée scolaire. Elle est prévue le 5 août dans un contexte incertain: le corps enseignant est en grève depuis plusieurs semaines. C'est à la conférence de se saisir du sujet et vite. 3/
Le diagnostic de la situation est sans appel : «effectifs pléthoriques, manque chronique de personnel formé, de locaux et d’équipements pédagogiques, conditions de travail désastreuses, tribalisation et politisation de l’UB, mauvaise répartition des bourses». 4/
Afin de se remettre en ordre de marche, le conférence remet de l'ordre dans son emploi du temps. Les matins sont réservés aux travaux en commission et les après-midis aux séances en plénière. 5/
Pour l'heure neuf commissions sont au travail: les six initialement prévues, les deux crées par l'acte n°3 et la commission "Enseignement-rentrée" qui vient d'être crée. 6/
C'est de la main de cette dernière qu'émanera l'acte n°4 ce 02 août mis au débat lors de la plénière de l'après-midi. Soyons honnête, le texte présenté, après une alerte à la bombe qui entrainera une interruption de séance de 75mn, ne soulève pas les passions 7/
tant il souligne l'absence de pouvoir réel de la CNS pour faire appliquer ses décisions. En somme, le texte reconnait la légitimité des revendications des enseignants mais les débats consacrent bien l'incapacité de la conférence à engager les finances publiques. 8/
Les enseignants sont entendus mais doivent reprendre les cours par patriotisme sans aucune garantie ni calendrier clair. 9/
Samedi 03 août, Tavio Amorin, principal cerveau de la constitution de 1992, prend la parole devant une assemblée clairsemée pour jeter les bases du Togo nouveau selon sa vision: redynamisation du monde rural, restructuration de l'armée en trois branches. 10/
La journée verra l'acte n°4 finalement adopté. Après deux mois de grève, les enseignements reprendront les cours contre la promesse hypothétique d'états généraux de l'enseignement à organiser par le gouvernement de transition. 11/
L'ambiance est-elle pour autant sereine ? Assurément pas. Deux questions cristallisent les tensions de l'opinion nationale. 12/
D'abord, la conférence dure (trop ?) depuis bientôt un mois avec une incidence certaine sur une économie déjà mise à mal par les troubles sociaux politiques du début d'année. 13/
Et surtout l'absence de l'armée fait craindre le pire. La Grande Muette n'a jamais si bien porté son nom. Elle est absente depuis le 15 juillet au même moment que le départ du gouvernement qui lui, est revenu quelques jours après, certainement sur ordre d'Eyadema lui-même. 14/
Si le président a pu enjoindre au gouvernement de revenir à la CNS, comment le Chef suprême des armées n'a pu faire plier son armée ? Calcul politique ? Ou bien l'armée est mue par ses propres intérêts et n'obéit plus à son chef ? 15/
En ce 05 août, la question de la rentrée derrière elle, la conférence continue à entendre les communications. On évoque la diplomatie, des violations de droits de l'Homme, les langues nationales, Sylvanus Olympio dont J.L. Savi de Tové dresse un portrait plus qu'élogieux 16/
avant qu'Edem Kodjo ne prenne la parole pour pendant une heure présenter son parcours au sein de l'appareil RPT avant de dessiner les contours du projet politique de l'UTD, son parti nouvellement créé. 17/
Le lendemain, c'est l'économie qui est la vedette du jour. La complexité des mécanismes, l'absence de chiffres vont rendre difficiles les débats pour les profanes mais on s'accorde sur un point: la dette publique est abyssale. 18/
C'est ensuite que la parole est donnée à trois poids lourds de l'opposition naissante. 19/
Me Agboyibo va rappeler la lutte des derniers mois et confirmer que le CAR qu'il préside préconise des mandats brefs dans le cadre de la transition et un premier ministre "neutre" (retenez bien l'expression, elle a son importance pour la suite). 20/
Il conclura par un des adages dont il avait le secret : "Le caïman ne meurt pas jeune. Tout démocrate est de la lignée du caïman". 21/
A sa suite, Zarifou Ayeva, adoptera un ton moins conciliant dénonçant la faillite totale de l'économie togolaise et invectivant les uns après les autres les ministres anciens et actuels de la IIIème République. 22/
L. Gnininvi pour la CDPA associera le régime Eyadema 3 fois au mot "crime". Il présentera ensuite les propositions de son parti pour l'avenir : transition de 12 mois maximum, création d’une Cour des Comptes, armée au service du peuple et gestion économique stricte. 23/
Le 07 août, c'est une mystérieuse lettre des FAT qui défraie la chronique. Une minorité silencieuse demande pardon au peuple togolais par ce courrier et indique avoir agi sous les ordres généraux Mawulikpim Ameyi et Abbas Bonfoh. 24/
C'est ensuite que Toyi Assih apportera un éclairage rare sur la question des droits de l'Homme: les exactions en pays Kabyè jusqu'au sein des Evala où sont recrutés majorité des membres des FAT. 25/
Les Togolais prennent soudainement conscience que leurs souffrances sous le régime d'Eyadema sont communes peu importe leur ethnie. La salle applaudit abondamment cette intervention. 26/
Au tour de Claude Ameganvi d'en appeler à l'émotion de la salle. Dans son exposé, il relate qu'Eyadema a assassiné S. Olympio avec la complicité de Jacques Foccart (le "Monsieur Afrique" de plusieurs présidents français) 27/
et qu'il a perçu 300.000 FCFA pour cet assassinat (ces propos ont été tenus par Eyadema lui-même au magazine Time avant de se rétracter, niant depuis lors en bloc cette version des faits). 28/
Il préconise que le PR soit purement et simplement destitué et juge avec l'ensemble de ses collaborateurs. La salle observe un silence gêné... 29/
Lorsque les FAT sont mis en cause par la CNDH qui fait état d'exactions à Mandouri, Agombiyo, et la lagune de Bè, le témoignage de l'AMD (l'association des militaires démocrates) qui confirme ces derniers faits semblent indiquer une discorde naissante au sein de l'armée. 30/
Il n'est pas étonnant que le général Améyi se fende d'une nouvelle déclaration ce 09 août. 31/
Le Général Président continue à souffler le chaud et le froid. Il promulgue l'acte n°4 deux jours plus tôt et s'attaque par courrier à nouveau aux fameux acte n°1. 32/
Pourtant il avait reçu la veille Mgr Kpodzro et M. Kétéhouli la veille lors d'un entretien tendu où il s'est inquiété de la durée de la conférence mais aussi et surtout des attaques personnelles contre lui et sa fortune supposée. 33/
Le prélat lui a rétorqué que le peuple avait besoin de vider son sac afin qu'une réconciliation véritable soit possible. 34/
En ce 10 août, la Nouvelle Marche titre "La semaine des accélérations ?" Pas si sûr. La CNS a pris soin de prolonger ses travaux au 24 août par l'acte n°5. Six des commissions affirment cependant avoir achevé leurs travaux. 35/
En vérité ce sont les conclusions de la commission constitutionnelle que tout le monde attend. 36/
Les 13 et 14 août, la CNS observe une pause suivie par l'assomption le 15 août, les plénières sont prévues reprendre le lendemain donc. En réalité, elles ne reprendront que le 17 août tant certaines commissions ont du retard dans la finalisation de leur rapport. 37/
Le Samedi 17 donc, à peine Mgr Kpodzro a-t-il ouvert le point des actualités que Tavio Amorin lâche une véritable bombe qui va risquer de tout faire voler en éclat. 38/
On a appris que le prélat et ses deux vice-présidents Koffigoh et Kétéhouli se sont rendus à Lomé II la veille en après-midi. La CNS n'était pas courant de la démarche. 39/
Pire, Mgr Kpodzro n'en a rien dit en ouverture de séance. Il n'en faut pas plus pour que les soupçons qu'ils soient allés présenter le projet de loi constitutionnel à Eyadema afin de se régler avec lui prennent du poids. 40/
Le prélat expliquera qu'il est allé rendre compte de l'avancée des travaux et réitérer son invitation à ce qu'Eyadema vienne assister aux travaux. Cela ne suffit pas à éteindre la polémique. 41/
Claude Améganvi particulièrement virulent accusera le présidium de porter atteinte à la souveraineté par cette démarche. Les noms d'oiseau fusent, les menaces également. Mgr Kpodzro visiblement écœuré suspend la séance. 42/
Le présidium propose un vote de confiance pour clore l'incident. L'adhésion est massive. Il est 18h28. La CNS est sauvée de justesse d'elle-même. 43/
Une à une, les commissions et sous-commissions commencent à venir donner lecture de leur rapport devant l'assemblée. 44/
A noter, l'état des lieux de la commission 6 sur les FAT, véritable garde prétorienne résultant d’une «spécialisation ethnique», surdimensionnée mais mal encadrée avec près de 14 000 hommes et seulement 237 officiers,(là où il en faudrait 700), 45/
jouet personnel d'Eyadema qui coûte 14 milliards FCFA au budget de l'Etat. Les débats s'animent autour des problématiques de l'heure, les sociétés d'Etat, l'industrie togolaise, les détournements de fonds etc. 46/
Jeudi 22 août, on touche enfin au but. Le rapport de la commission numéro 1 sensé aboutir au tant attendu acte n°7 est sur la table des délégués pour discussion. 47/
On débat de la forme de l'exécutif, un bicéphalisme semble se dessiner, quelle durée pour la transition ? , quels pouvoir pour le futur premier ministre ? Etc. On s'inquiète toujours, Eyadema consentira-t-il à venir clôturer les travaux ? 48/
L'ambiance est tendue le lendemain matin avec toutes les questions encore en suspens. Les FAT viendront ajouter leur grain de sel en début d'après-midi. Ils se fendent d'une de ces déclarations dont ils ont le secret. 49/
Le procédé et la rhétorique sont désormais connus: dénonciation du processus et menaces. 50/
Si les menaces des FAT se font au futur, Mgr Kpodzro va rapporter à l'assemblée des menaces bien plus immédiates. 51/
Ce sont des lettres reçues informant le présidium de troubles organisés par les FAT le 26 août visant à assassiner les militaires sympatisants de l'opposition, implicant 100 hommes en armes sous la direction du Colonel Djoua assisté d'un mercernaire français du nom de Pontieux.52
La salle est électrisée et chante de plus belle "Fofo si nusen le". Témoignage de Mgr Kpodzro à partir de la minute 22 de cette vidéo à propos de l'incident 53/
Le coup de semonce final, c'est Me Occansey avec l'agitation qu'on lui connaît désormais qui va le donner. Il accuse nommément trois ministres présents dans la salle d'être impliqués dans ce complot et affirme en avoir les preuves. 54/
Il s'agit des ministres Yao Komlanvi, Dahuku Péré et Agbéyomé Kodjo. 55/
Un à un les ministres iront se défendre dignement, il faut le reconnaître. Le procédé d'accusatuin était questionnable. Komlanvi le premier «(qualifie) les allégations de Me Occansey d’extrêmement graves avant d’ajouter qu’en tant que citoyen togolais, 56/
il a le devoir d’apporter son concours à la réussite de cette Conférence... Il (fait) des remarques (à) Mgr Kpodzro qui ne l’a pas consulté avant de demander son concours pour la prévention des troubles» 57/
Dahuku Péré réclamera les preuves avec cette intervention remarquable: 58/
Mais l'image qui marquera le plus, c'est celle d'Agbeyomé Kodjo, 37 ans, ministre de la jeunesse, des sports et de la culture qui fond en larmes lors d'une ultime tentative d'explication. 59/
Cet épisode lui vaut encore aujourd'hui le sobriquet d'"Aviyomé" ("avi" - les pleurs en mina) 60/
Après l'interruption de séance demandée par Mgr Kpodzro, l'incident va se clore par une déclaration des 17 partis présents lue par Zarifou Ayéva 61/